Elle le dit sans hésiter : elle aurait bien voulu avoir 20 ans aujourd’hui, se balader dans les couloirs d’un grand magasin de maquillage et trouver facilement toutes les nuances de fond de teint faites pour les peaux sombres, n’avoir que l’embarras du choix… Car comme elle le résume, « on est passé de rien du tout à beaucoup trop ».

Quand Fatou avait 20 ans et qu’elle avait besoin de conseil sur la façon de prendre soin de sa peau ou de ses cheveux, elle avait bien du mal à trouver des modèles. « Quand je regardais les magazines, je ne voyais personne me ressembler. J’avais l’impression que la femme noire n’existait pas dans l’espace public. On me disait que j’étais française mais je n’apparaissais nulle part », se souvient-elle. Et… « si les femmes noires n’étaient pas représentées, cela signifiait qu’on ne nous considérait pas comme des personnes qu’on avait envie de voir », assène-t-elle. D’où son envie de contribuer à les rendre visibles tout en rappelant « qu’être noire n’est pas une malédiction ». « Les gens avaient besoin d’entendre ça », se souvient-elle.

Car, au-delà de partager ses astuces et conseils beauté, le travail de Fatou a été de déconstruire tout un discours que « même les Noirs » avaient « intériorisé ». « Beaucoup ont la haine de soi », regrette-t-elle et, pour preuve, elle rappelle que le premier acte de beauté au sein de la diaspora africaine est de se défriser les cheveux. « Etre belle, c’est forcément avoir les cheveux lisses et non crépus parce qu’on les considère comme moche », déplore-t-elle.

Fatou N’Diaye, elle, n’aplatit plus sa chevelure depuis 2006. Sur ses photos qu’elles diffusent sur ses réseaux sociaux, elle se montre nature. Pour une campagne de L’Oreal, dont elle est l’une des égéries, elle a posé avec sa coiffure afro. Pour un parfum Mugler, elle s’est tressé les cheveux, une manière de revendiquer, sans équivoque, ses racines africaines. « C’est une volonté de ma part », confirme-t-elle. Bref, les femmes telles que Fatou N’Diaye sont devenues un standard de beauté.

Son travail au travers de son blog et de ses collaborations avec ces grandes marques veut mettre toutes les beautés en avant en les valorisant. « Cela a été compliqué, avoue-t-elle. Les marques reconnaissent qu’il est important de communiquer auprès de toutes les consommatrices. Elles ne pouvaient plus prétendre leur vendre des produits et les invisibiliser en même temps. » D’autre part, en s’affichant dans des pubs, la Parisienne dit à la diaspora de « s’accepter » telle qu’elle est, une manière aussi de se réapproprier l’espace public et d’aider les femmes noires à « s’émanciper ». « Je suis pour cultiver sa différence et son individualité. A trop vouloir se fondre dans la masse, à vouloir ressembler aux stéréotypes de beauté dominants, on ne nous voit pas, assure-t-elle. C’est important de voir des femmes noires dans des publicités, ça va au-delà de la beauté, c’est de l’estime de soi. »

« Aliénation très forte »

Reconstruire cette « estime de soi » est un travail de longue haleine. Pour Fatou N’Diaye, c’est un problème qui remonte au temps de l’esclavage et des colonisations. « Les femmes étaient traitées comme des bêtes, leur intelligence et leur beauté étaient niées », souligne-t-elle. Elle prend comme exemple Saartjie Baartman, dite la Vénus Hottentote. Cette Sud-Africaine fut exhibée à Londres et à Paris comme une « femelle », mi-humaine mi-animale, au XIXe siècle à cause notamment de la proéminence de ses fesses.

Ironie de l’histoire, aujourd’hui des stars planétaires comme Kim Kardashian (195 millions d’abonnés Instagram au compteur) « empruntent les codes des corps des femmes noires », fait-elle remarquer. Malgré tout, il reste du chemin à parcourir car « l’aliénation est très forte », surtout quand elle voit encore que tant de femmes africaines continuent à se blanchir la peau pour se trouver belle. « C’est très profond », insiste-t-elle.