LA VÉRITABLE HISTOIRE DU JEAN EN DIT LONG SUR NOTRE SOCIÉTÉ

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Des fermes du Texas aux entrepôts d’Amazon, Maxine Bédat, directrice du New Standard Institute, suit dans l’ouvrage « Unraveled – The Life and Death of a Garment » le parcours réalisé par une paire de jeans, pointant du doigt l’opacité de la deuxième industrie la plus polluante au monde.

Elle revient aujourd’hui sur cette enquête, et appelle les acteurs de la mode à se réinventer dès maintenant et à s’éloigner autant que possible de la « mode jetable ». Rencontre.

Pourquoi avoir choisi le jeans comme point central de votre ouvrage ?

Les jeans sont un article universel que nous avons tous. J’en porte en ce moment même. Nos jeans s’élevaient autrefois en symbole de la liberté et de la culture américaine, mais leur véritable histoire en dit bien plus long sur notre société.
 
Au-delà du processus de production très polluant du jeans, que les consommateurs commencent à entrevoir, l’ouvrage aborde la question des conditions de travail des artisans et ouvriers du textile. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je pense que l’un des aspects les plus révélateurs pour moi a été de constater que le travail à la chaîne des ouvriers de l’habillement est très similaire à celui des ouvriers des sites de distribution d’Amazon, et que les deux sont devenus des acteurs à part entière de l’industrie de la mode. Quel que soit l’endroit où ce travail est effectué, il est déshumanisant. On attend littéralement des gens qu’ils fonctionnent comme des machines. Nous devons nous demander sérieusement si c’est le genre d’emplois que nous voulons avoir dans notre société. Il ne s’agit pas juste du fait que le salaire est horrible – ce qui est le cas – c’est aussi que le travail lui-même est indigne. Et ce type de travail mécanisé – qui consiste à traiter les gens comme des machines – a vu le jour dans les plantations du Sud américain. Voulons-nous vraiment un système de travail qui trouve ses racines dans l’esclavage ? Bien sûr que non.

Il est également question de la fin de vie des vêtements… brûlés en Afrique. Comment expliquer que le continent africain subisse cette pollution de plein fouet ?

C’est lié à la non-régulation des marchés. Lorsque nous donnons nos vêtements, seule une infime partie est revendue localement. La majeure partie est triée, mise dans une caisse et expédiée dans les pays du Sud, qui doivent ensuite s’en charger seuls. C’est aussi en partie ce qui a déplacé la production textile locale. Pour nous, c’est loin de la vue et de l’esprit, mais les pays en développement sont accablés par nos excès.

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée durant cette enquête ?

Il n’y a pas une chose en particulier, c’est la vue d’ensemble qui est bouleversante. Le fait de se retrouver debout au sommet de cette montagne de déchets vestimentaires, de repenser à tous mes voyages, aux visites que j’ai rendues aux agriculteurs du Texas, aux producteurs de textile en Chine, aux ouvriers de la confection au Sri Lanka et au Bangladesh, aux ouvriers d’Amazon aux États-Unis, ou encore aux acheteurs en France et aux États-Unis qui, une fois que nous sommes allés au fond des choses, ont démontré une relation complexe avec les vêtements… Toutes ces ressources pour une chose qui finira par être jetée. Et tout cela pour enrichir quelques personnes – quelques hommes blancs, il faut le souligner – en laissant les autres sur le carreau. Mais tout n’a pas été bouleversant. En réalité, je suis sortie du livre ravie de me réengager en tant que citoyenne, de savoir que ma voix compte vraiment, que des voix puissantes ont essayé de nous distraire parce qu’elles connaissaient notre pouvoir en tant que citoyens. Je sais donc que nous pouvons aborder ces questions.

Le livre témoigne de l’opacité dans l’industrie de la mode, et vous avez tendance à dire que ça ne fait qu’empirer. N’y a-t-il pas eu une prise de conscience et des améliorations notables depuis le début de la pandémie ?

On a beaucoup parlé de changement, mais il ne s’est pas passé grand-chose. En fait, pendant la pandémie, de nombreuses marques ont annulé des commandes qui étaient déjà en cours de développement. Il y a donc beaucoup de discours, car les marques voient que c’est au cœur des préoccupations de leurs clients, mais cela n’a pas encore eu d’impact significatif.

Pendant des années, les consommateurs ont entendu que des produits à bas prix pouvaient être de qualité. Comment faire prendre conscience au public que c’est impossible, et qu’il existe un juste prix ?

J’ai moi-même été une acheteuse de mode jetable pendant des années. Le cheminement vers le livre et vers mon travail actuel tient au fait que j’étais une acheteuse avec une armoire pleine à craquer et que j’avais pourtant constamment l’impression de ne rien avoir à porter. Je pense que les gens savent que les vêtements ne sont pas de qualité et ils peuvent lire le livre pour aller encore plus loin.

Que doit faire l’industrie de la mode pour inverser la tendance et réduire considérablement son impact sur la planète ?

Nous devons nous éloigner des modèles économiques fondés sur la mode jetable, des entreprises comme Shein et H&M qui se basent sur des tendances de courte durée. Nous ne pourrons jamais vivre dans les limites que nous impose la nature et cesser d’exploiter les travailleurs avec ces modèles commerciaux. Ils doivent cesser.

 

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